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Pourquoi l’IA est encore plus stratégique dans un monde en crise

7/12/2024
Ecrit par
Yann Hoarau

Les entreprises européennes les plus résilientes ces derniers temps sont celles qui ont mis l’intelligence artificielle au cœur de leur dispositif. Faut-il y voir un nouveau paradigme opérationnel à mettre en œuvre pour survivre ?

La turbulence est un thème à la mode dans les sciences de gestion depuis des décennies, mais il semble prendre encore plus d’ampleur ces derniers mois où un conflit géopolitique majeur et une inflation galopante ont pris le pas sur une pandémie mondiale à peine maîtrisée. De surcroît, le consensus émergeant parmi les économistes est qu’une récession de l’économie semble inévitable dans la zone euro dès la fin 2022, formulant un avertissement clair pour les entreprises de faire de la résilience une priorité dans les mois à venir.

Mais si, bien souvent, les récessions font mal à beaucoup d’organisations, elles offrent aux mieux préparées une fenêtre d’opportunité unique de se relancer et de consolider leurs avantages contre des concurrents justement affaiblis et trop concentrés à survivre. C’est l’une des conclusions a priori surprenante des travaux menés par la Harvard Business School, dans les trois récessions mondiales les plus récentes (la crise de 1980, le ralentissement de 1990 et l’éclatement de la bulle Internet en 2000). Pourtant, des études similaires que certains d’entre nous ont réalisées durant la pandémie de Covid-19 démontrent qu’une multinationale sur cinq a aussi bénéficié de cette crise (1) et affiche, deux ans plus tard, des performances nettement supérieures à celles d’avant la crise.

Un nouveau cycle technologique

Toutefois, l’examen des différentes crises montre que quelque chose a changé. Pour les premières (la crise de 1980, le ralentissement de 1990 et l’éclatement de la bulle Internet en 2000), les firmes qui ont exploité leur résilience pour rebondir stratégiquement n’ont pas vraiment utilisé un socle technologique de grande ampleur. Mieux, dans le cas de la bulle Internet, le fait de ne pas avoir une grande dépendance à l’Internet leur a permis de redéployer leur modèle opérationnel sans dette technologique importante. Cisco a eu plus de mal à s’en remettre, par exemple, et les stars du Web de l’époque comme Yahoo se sont mis sur une trajectoire de mort lente.

Mettons en regard cette époque à celle d’aujourd’hui et à la crise du Covid. Investir dans les technologies numériques a été l’une des solutions les plus adoptées par les entreprises durant la pandémie. Les sociétés stars qui sont sorties le plus rapidement de la pandémie ont été les organisations technologiques, ou celles qui se sont appuyées sur ce nouveau socle, comme Tesla, par exemple.

Le constructeur américain de voitures électriques met en évidence l’importance d’un nouveau modèle opérationnel, basé sur l’intelligence artificielle (IA). Nous avons récemment analysé l’utilisation de l’IA par les grandes entreprises, en temps de pandémie et de risque actuel accru de récession. Nous constatons que la technologie fait le travail dont nous avons cruellement besoin en temps de crise : pour celles qui ont investi dans l’IA, la part des ventes et des coûts « influencée par l’IA » a plus que doublé entre 2018 et 2021 et devrait tripler entre 2018 et 2024. Ces organisations sont aussi les plus résilientes, affichant à ce jour un taux de croissance 50% plus rapide que leurs pairs et des gains de rentabilité deux fois plus rapides que le rythme annuel de la productivité des entreprises dans l’Union européenne au cours de la dernière décennie. Ce taux est aussi trois fois supérieur à la contribution moyenne de l’informatique classique à la croissance de la productivité totale observée dans les économies développées au cours des vingt dernières années.

Un outil puissant

En ce qui concerne la résilience, l’IA entraîne l’automatisation comme moyen sélectif de remplacer les tâches répétitives par une approche plus efficace. Il ne s’agit donc pas d’un processus de licenciement généralisé, mais plutôt d’une optimisation des tâches, qui donne lieu à des emplois de qualité supérieure, aux tâches plus variées et créatives, et donc à une meilleure adéquation des coûts aux revenus. De même, les technologies d’IA permettent une meilleure gestion de la performance des actifs de l’entreprise, comme la maintenance prédictive, qui permet d’étendre la vie des actifs en période de crise, sans risque de déstabilisation des profits en situation de turbulences. Quant à l’amélioration des ventes, l’IA est particulièrement performante en tant que soutien à une approche stratégique et innovante/disruptive.

La plupart des revenus influencés par l’IA est liée à l’innovation de nouveaux modèles d’entreprise, à la mise en place de nouveaux écosystèmes et à de nouvelles façons d’affronter la concurrence. C’est une technologie particulièrement puissante lorsqu’il s’agit de soutenir la connaissance client, le service client, ou encore les recommandations personnalisées en matière de vente et de marketing. Elle l’est encore plus lors d’un choc économique, dans la mesure où celui-ci rend l’engagement des clients plus volatil et qu’il est essentiel de prolonger la durée de vie utile des actifs de l’entreprise plutôt que de dépenser de l’argent pour des actifs défaillants.

Une opportunité à saisir pour l’Europe

Quelques entreprises (environ 12% de notre échantillon européen aujourd’hui) repoussent les limites de ce que l’IA apporte en gain de performance. Nous les appelons les « champions de l’IA ». Non seulement ces champions combinent des stratégies innovantes, mais ils ont aussi adopté un nouveau modèle opérationnel dont l’IA est le cœur, et dont les compétences se basent sur la complémentarité entre une architecture solide couplée à des talents de production en sciences des données, mais aussi une culture forte de consommation de données et d’algorithmes de prédiction et d’automatisation au bénéfice de leurs entreprise.

Si les entreprises européennes sont actuellement les plus exposées à un ralentissement économique, ce qui précède implique qu’elles ont tout intérêt à tirer parti de l’IA pour traverser le choc à venir. Et, contrairement à ce qui est souvent dit, l’Europe se sent pousser des ailes. Si le Vieux Continent était moins avancé dans le domaine de l’IA que les Etats-Unis et la Chine il y a dix ans, aujourd’hui, l’Europe a fait un bond en avant avec une vision de pointe sur l’informatique quantique. Tout en établissant un cadre réglementaire qui met en avant la pertinence critique d’une IA responsable. Nos recherches démontrent en particulier que les grandes entreprises européennes sont aussi friandes que leurs homologues d’Asie et d’Amérique du Nord pour exploiter le potentiel de l’IA.

Ces champions de l’intelligence artificielle constituent une élite aujourd’hui, dans la même proportion en Europe qu’aux Etats-Unis, dans de nombreux secteurs et pas seulement celui de la technologie. Par rapport au reste du monde, l’Europe est en avance dans des domaines tels que l’automobile, la distribution, les sciences du vivant ou l’énergie. Les autres entreprises européennes devraient en prendre note et s’inspirer du parcours de transformation de ces champions. Et si elles agissent rapidement, alors elles augmenteront leurs chances de se protéger contre les chocs à venir.

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